Soin et Education

A-Comment se soigner en Gaule romaine ?

(I-Médecins ; II-Oculistes ; III-Cures thermales)



File:Instruments médicaux gallo-romains Evreux 2129.jpg
 Inscription de Lyon mentionnant Metilia Donata, femme médecin Instruments médicaux, au musée d’Evreux

I)-Si l’on a une maladie « commune » ?  On se rend chez un MEDECIN, bien sûr ! (mais, attention, tous les habitants de la Gaule n’avaient pas recours aux médecins, loin de là, beaucoup « préféraient », faute de mieux, les « médecines parallèles » comme les plantes ou la magie…)

a-« J’ai la rate qui s’dilate. J’ai le foie qu’est pas droit. J’ai le ventre qui se rentre… » : 

Les textes des auteurs latins  évoquent beaucoup de maladies mais pour la Gaule, on peut ajouter deux sources d’informations, les squelettes découverts et les ex-voto de guérison (s’ils montrent réellement des affections ?). 

 problèmes d’arthrose particulièrement nombreux, par exemple à Sainte-Colombe (près de Vienne) où l’on note de l’arthrose mais aussi de l’ostéoporose (sur le thorax, les lombaires, les cervicales, les épaules…). Beaucoup d’arthroses du rachis dans les cimetières du Cher. Aux Dunes, à Poitiers, l’arthrose a été détectée sur 18 personnes (pour un total de 47 inhumés). 
 claudication un adulte de la nécropole de Vannoz (Franche-Comté) en souffrait
 maux de dents à Lazenay (Cher), l’usure dentaire touche 89 % des adultes et le tartre a été décelé sur 23 % des adultes de Saint-Martin-des-Champs (Cher). Les caries touchent davantage les femmes que les hommes, 19 % contre 4 %, à Tours, aux IV-Vèmes s. ; à Tavaux dans le Jura, les caries sont très nombreuses, tout comme à Lazenay (52 % des adultes) et aux Dunes à Poitiers ; par contre, à Sainte-Colombe,  l’état bucco-dentaire est bon (3 adultes sur 89 observés ont des caries)
 diarrhées aiguës sans doute la principale cause de mortalité des nourrissons
 enthésopathies = sollicitation des attaches musculaires, tendons et ligaments, liée à une forte activité physique ou à l’âge ; c’est le cas à Sainte-Colombe où de nombreux hommes adultes avaient des problèmes aux membres inférieurs surtout (fémur et tibia)
 épidémies la fameuse « peste antonine » (de 166 à environ 190, sans doute une épidémie de variole), a certainement atteint la Gaule mais les preuves manquent. On constate néanmoins, à la même période, une récession urbaine touchant les quartiers de nombreuses villes. Peut-on faire le lien ?  Une fosse commune d’une centaine de corps, à Chartres, datée des années 270-280, est peut-être le témoignage d’une épidémie. Une inscription de Vienne évoquant la mort de 3 enfants en 27 jours est aussi un possible témoignage.
 des goitres 2 femmes des Sources de la Seine, Esp. 9112 et 9116
 des hernies d’après des ex-voto d’Essarois et des sources de la Seine
 infections intestinales liées au manque d’hygiène des latrines publiques ; l’étude de la latrine de la rue Hannong à Strasbourg a révélée la présence d’œufs de tricéphales, des ascaris et de la douve du foie ; lors de fouilles à Reims, Troyes, Rezé, Horbourg-Wihr, la présence de deux parasites, le tricéphale et l’ascaris, a été constatée de façon très importante.
 la lèpre citée par Marcellus de Bordeaux
 maladies « dégénératives » nombreux cas de carence, malnutrition, marqueurs de stress liées à un genre de vie difficile ; à Sainte-Colombe, les indicateurs de stress momentané sont assez nombreux (la non-calcification des dents touche 50 adultes sur 139) ; à Saint-Martin-des-Champs (Cher), 12 % des adultes (27 personnes) ont des traces de pathologies dégénératives, touchant surtout la colonne vertébrale (au niveau lombaire et thoracique)  ; voir aussi les arthroses et les enthésopathies
 maladies vénériennes d’après des ex-voto d’organes génitaux à la forêt d’Halatte
 paralysie faciale cette maladie toucha peut-être le fondateur de Lyon, L. Munatius Plancus, d’après son buste ?
 pieds déformés et des jambes gonflées d’après des ex-voto des sources de la Seine
 affections pulmonaires Sidoine Apollinaire cite Severiana, qui, « fatiguée d’abord par une longue toux, souffre maintenant d’une fièvre »
 rhumatismes nombreux sur les ossements d’Avenches, en Suisse ou de Tavaux dans le Jura, touchant une population agricole à faible espérance de vie
 saturnisme  lié au plomb mais le sujet est discuté par les spécialistes
 syphilis congénitale  par exemple sur un fœtus de 7 mois, baptisé Cristobal, retrouvé avec sa mère, à Costebelle dans le Var ou plusieurs cas possibles à Lisieux
 tuberculose révélée sur 68 sujets de Grande-Bretagne ; peut-être visible sur une statuette en bronze de Quimper ; un jeune enfant de Laquenexy est sans doute décédé d’une tuberculose méningée ; peut-être des cas de tuberculose à la nécropole de La Viotte à Besançon
 traumatismes sur un tiers des 42 individus du cimetière de Payerne, en Suisse mais sur une dizaine d’individus (sur 139) seulement, à Sainte-Colombe. Dans les nécropoles des Bituriges (Cher), 3 à 4 % des inhumés ont été victimes de fractures, parfois multiples (à Lazenay, un individu a eu 3 fractures, à la clavicule, au tibia et à la fibula droits).
 tumeurs visibles derrière l’oreille droite, sur 2 têtes des Sources de la Seine, Esp. 8300 et 9113 ; sur une main à Rahon (squelette d’un homme jeune)
 ulcères et varices des jambesd’après des ex-voto à Luxeuil, Essarois, sources de la Seine 
 des problèmes aux yeux nombreux ex-voto et cachets d’oculiste (voir plus bas)
L’étude de H. Barrand (thèse sur les pratiques funéraires en Gaule Belgique, 2012) porte sur des nécropoles à incinération de Bavay (169 tombes)  et Metz (289 tombes). A Bavay, il note 31 individus concernés par l’arthrose, 13 par des ossifications des ligaments, 2 par de l’ostéoporose, 8 par une inflammation du périoste (enveloppe de l’os), 4 par de gros problèmes de vertèbres (port de charges lourdes ?). Les mêmes problèmes se retrouvent à Metz.
H. Walter (Vivre en Franche-Comté à l’époque romaine, 2019) a résumé les études sur les inhumés des nécropoles de Franche-Comté (Poligny, Tavaux, La Viotte à Besançon…) : l’état de santé des 330 défunts est globalement très mauvais avec de nombreuses maladies dégénératives, de nombreuses fractures (dites de port de charges), des arthroses, des scolioses, une dentition déplorable, de nombreux marqueurs de stress… Tout cela montre une vie très dure pour cette population et des travaux de force (peut-être liés à une carrière pour la nécropole de Besançon).
Le cimetière de la place de l’Egalité à Sainte-Colombe, près de Vienne, a fait l’objet d’une étude détaillée (in Bulletins et Mémoires de la société d’anthropologie de Paris, 2011, 23, p 152-175), portant sur 223 individus (139 adultes et 84 immatures) : la surprise vient du bon état de santé de cette population assez âgée (90 ont plus de 30 ans) avec peu de caries, de signes infectieux, de fractures. Par contre, les problèmes de tendons et d’arthrose sont nombreux.
Une étude de G. Palfi (in Bulletins et Mémoires de la société d’anthropologie de Paris, 1997, 9) portant sur 91 squelettes de plusieurs sites du Var, datés de l’Antiquité tardive, montre la forte présence de fractures (20 cas, surtout aux côtes, à l’humérus et au tibia), d’arthroses vertébrales (20 cas) ou des articulations (16 cas), des tendinites (16 cas) et aussi quelques cas de tumeurs osseuses (3 cas) et de syphilis (2 cas). Par contre, pas de race de tuberculose ou de lèpre.
Ch. Kramar (in Bulletin de l’association Pro Aventico, 2005, 47, p7-61) a étudié des sujets Helvètes (à Avenches et Payerne, en Suisse) : sur 12 adultes du site La Montagne, 9 ont des caries et 6 des abcès dentaires, 10 des traumatismes, 5 des rhumatismes, quelques uns des infections. Les caries sont aussi nombreuses sur les sites de En Chaplix (13 cas sur 22 individus) et de Payerne (21 cas sur 26).

b-Il y a près de 30 médecins connus par l’épigraphie, en Gaule dont 8 à Narbonne et quelques uns par la littérature (le père du poète Ausone à Bordeaux au IVème s.). D’après les inscriptions, il y aurait 11 affranchis et 7 citoyens romains à peu près assurés. Beaucoup ont un nom latin et un surnom latin ou grec (dans 9 cas). Certaines sont des femmes (Nîmes, Lyon et peut-être Metz) et le terme de « medica » les distinguent de la sage-femme (« obstetrix ») . D’autres peuvent être très jeunes (Sex. Iulius Felicissimus à Aix-en-Provence, décédé à 19 ans) et du coup avoir eu des études très courtes. Un médecin de Limony (Ardèche) se dit « asclépiadien », c’est à dire adepte des méthodes originales d’Asclépiade de Pruse (marches et promenades fréquentes -en litière, tout de même-). Un bas-relief de Haguenau représente peut-être une consultation. Une inscription de Riez évoque une incubation (pour un diagnostic, issu des rêves du patient ?).  

D’après des trousses de chirurgien retrouvées dans des tombes, les médecins disposaient de sangles (pour arrêter une hémorragie), ventouses, bistouris, cathéters (pour dilater les canaux urinaires), curettes, pinces (entre autre pour arracher des dents), scalpels, sondes (pour explorer les plaies ou … les oreilles, extraire des calculs urinaires, « retirer » des hémorroïdes), spatules à cautère (pour mélanger et appliquer des onguents), cuillères (pour administrer des potions liquides)… 

L’annuaire médical de Gaule D’après les inscriptions : 2 médecins à Aix-en-Provence (Sex. Iulius Felicissimus, mort à 19 ans et Phoibos) ; 1 à Arles (l’esclave Dionysius et son maître Iulius Hermes) ; 1 à Autun (Victorius, originaire de la cité de Metz) ; 2 à Bordeaux (F. Pollianus Eburius, mort à 36 ans et un anonyme) ; 1 à Bourbonne (Sextus, non assuré) ; 1 à Falquelfing (Marcellanus, médecin militaire) ;  1 à Hermès (S. Fabius As-clepiades- offre un temple aux habitants d’un quartier de Rouen ; son surnom  non assuré évoque Esculape, dieu grec de la Médecine) ; 1 à Limony (M. Apronius Eutropus, également sévir) ; 4 à Lyon (dont Phlegon qui offre une dédicace aux déesses-Mères, une femme, Metilia Donata, assez aisée pour offrir un monument public inconnu, un médecin militaire Bononius Gordius) ; 1 à Mandeure (son surnom Mercurialus évoque le dieu Mercure) ; 1 à Marseille (Hermogenes) ; 1 ou 2 à Metz (M. Iunius Lunaris et peut-être une femme anonyme) ; 8 à Narbonne (…tius Auctus, Héraclides, Pompeios … et Pompeios Fortunatos sous l’empereur Antonin, P. Lucceius Menes, S. Fadius, L. Pomponius Dioclès, L. Suestilius Aprodisius) ; 3/4 à Nîmes (C. Terentius Atticus, C. Antistius Ant…, une femme Flavia Hedone et peut être T. Caecilius Optatus -édile ou médecin ??-) ; 1 à Vieu-en-Valmorey (C. Rufus Eutachus, également prêtre de Mithra). 

D’après les sources littéraires : Strabon évoque juste la présence de médecins à Marseille ; Galien cite Démosthène de Marseille (il lutta contre la pustule du charbon) ; Pline parle de Crinas de Marseille (s’intéressa à l’alimentation)  et de Charmis de Marseille également (auteur d’un antidote, hors de prix, contre le venin des serpents) ; Soranos d’Ephèse, spécialiste des maladies des femmes et des accouchements, aurait travaillé en Aquitaine ; Ausone  (v310-v395) est d’une famille de médecins, installés à Bordeaux : son père (avait « le don de prolonger la vie de l’homme grâce à l’art de guérir » et aurait guéri des patients atteints de sciatique, en 12 jours par un moyen « unique »), sa tante et sa soeur Aemilia Hilaria ; Un contemporain d’Ausone, Marcellus Empiricus, natif de Bordeaux et devenu un haut fonctionnaire et le médecin de l’empereur Théodose, est l’auteur d’un manuel médical  (v410) contenant des remèdes variés à base de plantes (262 citées) ou de formules magiques (266). Certaines laissent perplexes quant à leur efficacité : contre les conjonctivites (« Capturez une vipère, tuez-la, mettez-la dans un pot en terre et laissez-la pourrir, jusqu’à l’apparition d’asticots. Collectez-les, écrasez-les, ajoutez un peu de safran, écrasez encore, faites un collyre en y mêlant du miel de l’Attique et du lait humain, et appliquez sur les yeux »), contre les orgelets (« Retirez tous les anneaux de vos doigts, mettez trois doigts de la main gauche autour de l’œil, crachez trois fois et dites trois fois RICA RICA SORO ») ou contre les calculs de la vessie (« Enfermez un bouc à part pendant sept jours et nourrissez-le de laurier. Ensuite faites-le tuer par un garçon pré-pubère et collectez proprement le sang. Faites-en avaler au patient trois scrupuli -env. 4 grammes- dans un cyathus de vin -4,5 centilitres-« )…

L’iconographie permet d’ajouter : 1 médecin probable à Bourges-Baugy (Esp, 1516, d’après la réinterprétation de la stèle funéraire de C. Fidus = le défunt tient un bâton sur lequel s’enroule un serpent et il a une bague à cacheter ; cf sfhm, 2019), 1 médecin possible à Haguenau, 1 scène possible d’incubation à Santosse, 1 scène possible d’un bain rituel de guérison sur une base de statue à Sainte-fontaine.

Par comparaison, il y aurait 19 médecins connus en Ibérie, 18 dans les Germanies, 31 en Afrique du nord, 60 dans les provinces danubiennes, 430 à Rome et pour tout l’Occident (dont 105 affranchis et 41 esclaves).


Autres témoignages des Gaules : 
-DES TOMBES : Tombe de médecin à St Privat d’Allier (visible au Puy-en-Velay ; trousse de S. Pollenius Sollemnis avec 3 spatules à cautère, 1 scalpel…) ; tombe de chirurgien à Paris (au musée Carnavalet : trousse chirurgicale de 34 pièces dont 17 instruments) ; tombe du chirurgien C. Firmus Severus à Reims (découverte en 1842 et visible au MAN de St Germain-en-Laye ; avec un coffret en bois de 38 pièces dont 27 instruments de chirurgie ophtalmologique -1 mortier, 2 cruches, des coupelles, 2 balances, 8 étuis tubulaires…) ; tombe d’un médecin-ophtalmologiste (longtemps considérée comme celle d’une femme artiste !) à St Médard-des-Près (visible à Fontenay-le-Comte ; avec plus de 80 vases en verre, des pots et bouteilles, 33 balsamaires et deux boites à collyres) ; curieuse tombe découverte en 2003  à Nîmes (d’un guérisseur ou médecin ?) ; tombe à Toulouse (un bistouri, une pince, un crochet chirurgical) ; tombe de la Favorite à Lyon (instruments de chirurgie oculaire rangés dans un étui, une tablette à broyer et 20 collyres dans un coffret) ; une tombe à hypogée de Marquion (Pas-de-Calais) a livré récemment une boite à pharmacopée (à 4 compartiments)  et une trousse médicinale contenant une dragée et un bâtonnet de collyre (information INRAP); tombe d’un possible médecin à Rousset (13)…
-DES OBJETS : Des pinces chirurgicales  à Besançon, Châlons et Pérignat ; 2 curettes et une sonde à Aix-en-Othe ; 12 instruments de chirurgie en bronze (ex-voto ?) à Alésia ; des aiguilles chirurgicales à Biesheim, Cottenchy (Somme), Paulhan (Hérault), Lyon, Besançon ; des scalpels à Nantes, Amiens (2), Paris (6), Reims, Vermand (2), Cocheren, Grussenheim, Biesheim, Kembs, Buvilly (Jura), Besançon, Vertault (2), Lyon (3), Poitiers (2), Lattes… ; des spatules à Mandeure ; des bistouris à Sarrebourg et Strasbourg, à Vertault (3) ; une ventouse à Paris, provenant du cimetière de Saint-Marcel ; une pince (davier) de dentiste à Bethelming (Moselle) et à Autun ; une prothèse dentaire, en fer, découverte sur un homme d’environ 30 ans, de la nécropole de Buno-Bonnevaux ;  un scalpel et une sonde précoces (fin du -Ier s.) à Corent ; 56 sondes auriculaires à Famars ; de possibles garrots découverts à Paris et Lyon… (cf site artefacts pour beaucoup plus de témoignages)

c-La médecine de l’empire romain -Héritée de la Grèce, elle était publique (les médecins « asclépiadiens » sans doute, le « medicus publicus » évidemment -peut-être un à Nîmes-, les médecins militaires certainement -deux sont connus pour la Gaule-) ou privée (une visite d’un pauvre chez un médecin « pauvre » valait moins d’un sesterce, selon Plaute mais Pline témoigne de fraudes de la part de certains médecins aisés ; les grandes familles avaient leur propre médecin, le plus souvent un esclave ou un affranchi). Le futur médecin apprenait avec un maître puis, sans diplôme, se mettait à son compte. 
Les lieux de soins : les cabinets médicaux actuels n’existaient probablement pas mais certains médecins recevaient chez eux (sans doute, dans la fameuse domus du « chirurgien de Rimini » en Italie ?), d’autres, des prêtres-médecins (?), consultaient dans des sanctuaires (par rêves ou  incubations, bains rituels, incantations…).
-Les médecins, sans connaître le petit monde des microbes et autres bactéries, prônaient l’hygiène, pour eux-mêmes (il semble qu’ils faisaient bouillir les instruments chirurgicaux) et pour leurs patients (le fameux « esprit sain dans un corps sain » de Juvénal). Les soins apportés aux distributions (aqueducs) et évacuations des eaux (égouts) et la pratique répandue des bains semblent aller dans le sens d’une politique publique de prévention des maladies
-On savait anesthésier un patient (avec du pavot, de l’opium, du chanvre, du vin…), opérer les calculs rénaux, les cataractes, les hernies, trépaner (un crâne trépané du musée de Tournus, s’est cicatrisé), réduire les fractures, enlever les amygdales (avec des pincettes), amputer (avec une sympathique scie à dents et une cautérisation au fer rouge), ligaturer des vaisseaux sanguins, faire des prothèses de dents … Pour les traitements, on utilisait beaucoup de plantes aux vertus médicinales (Pline cite 1391 « médicaments » d’origine végétale sur plus de 1700) comme l’ail (distribué aux soldats), l’anis, le chou, la camomille,  le fenouil (rôle digestif ou aphrodisiaque !), la figue, le lys (contre les brûlures), la marjolaine (contre les maux d’estomac),  la menthe, les graines de moutarde (Pline en donne 44 remèdes dont un pour « les femmes froides et paresseuses » !), la sauge (contre des morsures de serpent), le romarin, le safran (pour calmer les spasmes viscéraux)… En Gaule, l’herbe de Saintonge (pour les problèmes intestinaux) et la valériane (pour la tension nerveuse ou le foie) sont très réputées, selon G. Coulon. Il n’y a pas de pharmacien, c’est le médecin qui prépare les médicaments avec ces plantes. En plus des plantes médicinales, les médecins se servent de sels de cuivre (pour arrêter l’écoulement de sang), de bitume (comme pansement), de fientes de lièvres ou de sécrétions de castor (contre l’épilepsie, la fièvre, les maux de tête !)…

File:Musée gallo-romain de Fourvière - Oculist's case, bronze items from the 2nd century A.D. from a tomb in Lyon.jpg
 Boite d’oculiste à Lyon Cachet d’oculiste d’ Iunius Taurus (Naix-aux-Forges)

II)-Si l’on a un problème aux yeux ? On va voir l’OCULISTE.

Les indices de leur présence sont nombreux : 

-une inscription (un oculiste à Narbonne), des bas-reliefs (un examen oculaire sur celui de Montiers/sur/Saulx dans la Meuse), des tombes (instruments dans les musées du Puy-en-Velay, Carnavalet à Paris, St-Germain-en-Laye, Amiens, Fontenay-le-Comte, Reims, Lyon), des découvertes isolées (les 5 aiguilles à cataractes trouvées dans la Saône, à Montbellet et visibles au musée de Tournus, une pincette à Hochfelden en Alsace, des lancettes et scalpels à Campagnac dans l’Aveyron)…

-et surtout les nombreux cachets retrouvés,  appelés cachets à collyres. Ce sont des sortes de pierres parallélépipédiques vertes. Des inscriptions (gravées à rebours) figurent sur les 4 côtés du cachet : elles mentionnent le nom du praticien, le nom du produit et sa composition, la maladie à soigner. Ces cachets étaient imprimés sur des bâtonnets de collyres, solides (constitués de substances pulvérisées), que l’on ramollissaient ensuite lors de l’utilisation ! 

Les cachets d’oculistes (ou cachets à collyres) : J. Voinot a répertorié en 1999, 314 cachets ; le site Artefacts en liste 316 et le site du CNRS annonce la découverte (en 2015) d’un 346ème cachet à Lyon et il a même le droit à une vidéo ! (en 2017) ; M. Pardon-Labonnelie en compte 349 pour tout l’Empire romain.
Plus de 190 cachets concernent la France : 2 à Alésia, 4 à Amiens, 3 à Arles, 2 à Autun, 12 à Bavay, 6 à Besançon, 2 à Bordeaux, 2 à Entrains, 2 à Grand, 3 à Lillebonne, 5 à Lyon (+ 1 découvert récemment), 8/9 à Mandeure, 2 à Metz, 8 à Naix-aux-Forges, 3 à Néris-les-Bains, 3 à Nîmes, 2 à Nuits-Saint-Georges, 2 à Poitiers, 13 à Reims, 2 à Saintes, 2 à Sens, 2 à Vertault, 2 à Vichy… 
Les affections les plus courantes, mentionnées sur les cachets : maladie au sens général (diatheses et omnia), trachome (aspiritudinem), conjonctivite (impetum et lippitudinis), obscurcissement de la vue (caliginem et claritatem), maladies de la cornée (cicatrices), cataracte (suffusiones), écoulements (ad omnes liquores), suppurations … 
123 collyres connus dont le crocodes (au safran), le dialepidos (lamelles métalliques), le diamysyos (minerai de cuivre), le diarhodon (à la rose), le diasmyrnes et le stactum (à la myrrhe), le melinum (jus de pomme), l’opobalsatum (au baume de Judée), le pyxinum (aux feuilles de buis) … Beaucoup de remèdes contiennent du cuivre, du zinc ou du plomb mais d’autres -à effet placebo- sont sans doute « publicitaires » (selon M. Pardon-Labonnelie)
Les collyres de  l’oculiste Zmaragdus (tombe de Lyon) : ils contiennent des sels de métaux, de la gomme arabique, de l’encens, de la myrrhe, de l’euphrasie, du cassis. Ces composants sont antiseptiques, analgésiques, anti-inflammatoires. Du safran, annoncé sur une inscription, n’a pas été identifié.
Les cachets à collyre de Reims (CAG p 118-119) : sont mentionnés des collyres à base de cuivre (les plus nombreux), au nard, au suc de baumier, à l’encens, au safran, à la myrrhe (pour 5 cachets) … ; pour « une crise » ou « après une crise », pour des cicatrices anciennes, pour « l’acuité visuelle »…
Les cachets à collyres de Metz : celui de C. Manuccius Iunius (pour l’inflammation, clarifier la vue, calmer) et celui de L. P… Villanius (pour la première inflammation, pour les duretés).
File:MAN - Ex-Voto oculaires (8).jpgFile:Senlis (60), musée d'art et d'archéologie, ex-voto du temple gallo-romain de la forêt d'Halatte 1.jpg
 Ex-voto oculaires, en bronze (musée des Antiquités nationales) Ex-voto de guérison, en pierre, du temple de la forêt d’Halatte (musée de Senlis)

III)-Si l’on a des problèmes plus particuliers, des plaies, des fractures, des « émotions nerveuses »… ? Une seule solution s’impose, les CURES THERMALES et les sources ! 

-De très nombreuses sources (certaines n’ont aucune vertu médicale !) des Vosges, de Bourgogne, d’Auvergne, d’Aquitaine, sont exploitées, sous la protection bienveillante d’une divinité (le plus souvent Apollon associé à un dieu local comme Borvo, Moritasgus ou Vindonnus) qu’il convient de remercier avant de repartir. A Chamalières, c’est une simple cuvette aménagée. 

Cf aussi les dieux guérisseurs sur la fiche Monde des Dieux

-Ces cadeaux (ex-voto), à la source divine, correspondent à ces très nombreuses « offrandes anatomiques« , réalisées, de façon naïve et stéréotypée, par des sculpteurs locaux, dans de nombreux matériaux (surtout en bois ou pierre), et représentant sans doute la zone du corps malade ou accidentée  ou  guérie. Les plus nombreux sont des jambes et pieds (925 connus), des têtes (434) et des bustes (486) assez frustres, des personnages en pied plus réalistes (ils portent souvent une offrande : ce sont peut-être les donateurs ? ; 434 connus), des yeux (= ex-voto oculistiques ; 263 connus provenant d’une trentaine de sites), des torses ou troncs dits « planches anatomiques », des seins et des organes sexuels aussi…  Les ex-voto de bébés (enfants en langes) peuvent évoquer la fertilité, la stérilité, la crainte de la grossesse ou de l’accouchement. Des animaux (chien, bovin, bélier…) sont aussi représentés (pour la guérison ou la bonne santé de l’animal ou comme substitut à un sacrifice ?). 

Selon la plupart des auteurs, il est vain de rechercher dans ces représentations, des pathologies visibles. Mais certaines offrandes (des pieds des Sources de la Seine ou d’Alésia s’appuyant sur une éponge) pourraient témoigner d’une médication par de l’eau réputée sacrée. Ces ex-voto étaient donc offerts en remerciement d’un vœu (pour retrouver la santé ou l’usage d’un membre) et déposés ou accrochés au mur du sanctuaire. Les ex-voto sont très nombreux dans les cités des Lingons, Eduens et Arvernes. Cette pratique est au carrefour de plusieurs influences, celte (des têtes superposées aux Sources de la Seine), italique (les jambes), gréco-romaine (des têtes) mais vient, à l’origine, de la Grèce, via Rome. De plus, des modèles circulaient de sites en sites, comme le prouvent de fortes similitudes dans des sites éloignés comme Chamalières et Genainville.

Les principaux lieux de découvertes d’ex-voto anatomiques (attention, les chiffres donnés sont très différents selon les auteurs) 

 Alésia 366 ex-voto = 140  yeux en bronze ; 13 jambes et pieds en pierre, 25 bustes et têtes en pierre… ; 1 bébé emmailloté 
 Allonnes ex-voto de guérison
 Antigny (86) 9 ex-voto (des yeux) équipés de trous de fixation
 Beire-le-Chatel ex-voto de guérison ; 1 bébé emmailloté
 Bouhy  un ex-voto « pro salute »
 Bû (28) 16 yeux en métal 
Chamalières (63) env. 3500 en bois dont 1550 entiers ; 318 personnages en pied, 144 bustes et têtes, 41 torses ou troncs, 7 seins, 723 jambes et pieds (1800 selon O. de Casanove), 325 bras et mains + 1 yeux en pierre + 14 animaux en bois ; sans doute pour Apollon-Maponos
 Chateaubleau  2 oreilles en céramique
Châtillon/s/Seine  (21) environ 40 ex-voto dont des pieds et des jambes (source de la Douix) 
 Essarois ex-voto surtout en pierre : 7 personnages en pied (+ 2 en bois), 2 ou 14 sculptures de nouveau-nés, 43 bustes ou têtes de femmes, 27 jambes ou pieds ; 3 yeux en bronze …
 Furdenheim (67) découverte récente d’ex-voto  (anatomiques ?) en tôle de bronze près d’un bassin 
 Genainville plaquette votive en bronze représentant des yeux
 forêt d’Halatte (60) 363  ex-voto, tous en pierre dont 25 personnages en pied, 13 personnages découvrant leur sexe (dont un homme au sexe hypertrophié), 62 bustes et têtes, 17 seins, 13 jambes et pieds, un coeur en pierre + 15 animaux + 12 bébés emmaillotés 
 Izernore (01)1 ex-voto en bronze avec un oeil
 Luxeuil  ex-voto en bois ; ils datent d’ Auguste (monnaies associées) ; des centaines de figurines (personnages à capuche surtout) ont été découvertes en 1865 et presque toutes ont disparues !
 Magny-Cours (58) 5 jambes en bois
 Mâlain (21) 7 ex-voto découverts récemment : 4 paires d’yeux, 2 seins, un bas-ventre
 Massingy plusieurs ex-voto de tronc humain
 Mirebeau (21) environ 50 ex-voto dont un corps féminin et des yeux en bronze 
 Mesnil-St-Nicaise (80) 12 jambes en bois
 Montbouy 10 ex-voto de bustes en bois
 Montjustin (70) 2 yeux
 Neuville/s/Sarthe ex-voto ophtalmique
 Orléans-L’Etuvée des visages stylisés
 Ormersviller (57) 4 plaquettes en bronze sexuées (liées à Hercule ?)
 St Honoré-les-Bains ex-voto d’une tête en bois
 Ste Sabine  environ 20 bébés emmaillotés
 Senlis  un ex-voto montrant un genou gonflé
 Sources de la Seine ex-voto en bois (49 personnages en pied, 80 bustes et têtes, 66 torses, troncs, bassins, 45 jambes et pieds…), en pierre (33 personnages en pied, 22 bébés emmaillotés, 127 bustes et têtes, 16 seins, 100 jambes et pieds, 55 bras et mains…), ou en bronze (115 torses, troncs, bassins, 9 seins, 4 jambes et pieds, 119 yeux…) ; = 82 personnages en pied, 207 bustes et têtes, 204 torses, troncs, bassins, 25 seins, 149 jambes et pieds, 119 yeux + 31 animaux + buste d’un aveugle, plaquette figurant 3 seins, ex-voto en bronze montrant des viscères, 17 têtes superposées …
Vernais (18) ex-voto de tête, bras, pieds déformés
 Vertault des personnages en pied (2), des jambes et pieds
 Vichy ex-voto peut-être liés à des problèmes de rhumatisme, de polyarthrite ou de goutte
 Vitteaux surtout des torses

SOURCES :-J-M. André : La médecine à Rome, Tallandier, 2006-R. Bernard et P. Vassal : Etude médicale des ex-voto des Sources de la Seine, in RAE, 9, 1958, p 328-359-A. Bouet : Les latrines dans les provinces gauloises, germaniques et alpines, Gallia, 59ème suppl., CNRS 2009 (voir « les latrines, témoin de l’état sanitaire des populations », p 181-182)-O. de Cazanove : Pieds et jambes. Enquête sur une catégorie « banale » d’offrandes anatomiques ; in Corps antiques, morceaux choisis, Editions de l’Ecole des hautes études en sciences sociales, p 17-38-G. Coulon : Les Gallo-romains, A. Colin, 1985 (p 178 à 184 pour la médecine)-S. Deyts : Les ex-voto de guérison en Gaule, in Dossiers d’archéologie, 123, 1988, p 82-87-P.-M. Duval : La Gaule pendant la paix romaine, Hachette, collection La vie quotidienne, édition 1997 -E. Espérandieu puis R. Lantier : Recueil des bas-reliefs, statues et bustes de la Gaule romaine, 1907-1949, 14 volumes-I. Fauduet : Les ex-voto anatomiques du sanctuaire de Bü, RAO, 7, 1990, avec liste des sites d’ex-voto anatomiques ; L’auteure recense 47 sites de découvertes d’ex-voto anatomiques dont 35 ont livré des ex-voto en forme d’yeux.-D. Franceschi : Les représentations anatomiques dans les sanctuaires de la Gaule romaine, in Archeo Doct, Publications de la Sorbonne, 2013, p 49-63-F. Olmer : La médecine dans l’Antiquité : professionnels et pratiques, in revue Sociétés et représentations, 2009/2, 28, p 153-172-M. Pardon-Labonnelie : Soigner les yeux à Rome, in L’Histoire, 453, novembre 2018, p 72-76-A. Pelletier : La médecine en Gaule. Villes d’eaux, sanctuaires des eaux, 1985 = « Médecine, villes d’eau, sanctuaires des eaux en Gaule dans l’Antiquité », plusieurs articles p 203-248, RAC, 21-3, 1982-B. Rémy et P. Faure : Les médecins dans l’Occident romain, Ausonius, 2010 et version en ligne sur openedition 2019 (corpus de 66 inscriptions dont 13 en Narbonnaise, 9 dans les Trois Gaules)-A-M. Romeuf : Les ex-voto  en bois de Chamalières et des sources de la Seine, Gallia, 1986, 44, p 65-89-C. Salles : Les cachets d’oculistes : des ordonnances sur la pierre, in Dossiers d’archéologie, 123, 1988, p 62-65-E. Vigier : thèse en cours sur l’hygiène et la médecine en Gaule, participation au site artefacts (corpus de + 7 200 objets liés à l’hygiène et à la médecine)-J. Voinot : Les cachets à collyres dans le monde romain, édition Monique Mergoil, 1999 (= il a recensé 314 cachets d’oculistes en 1999)-Revue Archéo-Théma, 16, 2011 : « La médecine à l’époque romaine »-Exposition à Lyon : « Médecine et santé à l’époque romaine. Quoi de neuf, Docteur » ; 2012-article « Médecine durant l’Antiquité romaine » dans Wikipédia

B-L’instruction en Gaule romaine

(I-L’enseignement ; II-Comment écrire ?)

 File:Roman school.jpg
 Scène possible d’école (ou scène privée avec un précepteur) à Neumagen (Allemagne)

« Ne tremble pas, malgré les coups nombreux qui retentissent dans la classe et la mine rechignée de ton vieux professeur » (Ausone)

I)L’enseignement

1-Le cursus scolaire

6/7 à 11/12 ans école « primaire »  -le « magister ludi »  ou « primus magister »
= maître ; 
 -le calculator 
 11/12 à 15 ans école « secondaire »  le « grammaticus » = grammairien
 après 15 ans école « supérieure »  le rhéteur
 X école à domicile, pour les familles aisées le précepteur ou pédagogue

a- L’enseignement primaire :  les  maîtres « magister » et « calculator » enseignaient aux enfants (essentiellement des garçons de milieu aisé) à lire, écrire et compter. Les cours se déroulaient dans des sortes de boutiques et durant la matinée.

– L’apprentissage de la lecture et de l’écriture : méthode globale ou syllabique ? 

Les élèves apprenaient par cœur, dans l’ordre et à l’envers,  l’alphabet de 23 lettres (pas de j, de u ni de w) – on les nommait « abecedarii » – puis ils formaient des syllabes – on les nommait « syllabarii » – des mots – on les nommait « nominarii » –  et enfin des phrases en latin et en grec. Ils devaient aussi apprendre par cœur  les textes avant de les recopier. Ils écrivaient, aidés par la main du magister,  en lettres cursives (comme on le voit dans les graffitis, en particulier sur celui du chien qui aboie, le fameux « vava » ), sans séparation des mots ni ponctuation. 

– L’apprentissage du calcul consistait à savoir réciter par cœur les tables d’addition et à se servir d’abord des doigts, puis de l’abaque, (une sorte de boulier) ou de petits cailloux (les calculi), pour compter.

b- L’enseignement secondaire : le grammairien se chargeait d’expliquer et de faire apprendre à un petit nombre d’élèves des milieux les plus favorisés, les grands textes de la littérature latine et grecque concernant surtout la mythologie, l’histoire, la géographie… Chaque explication de texte s’accompagnait d’une analyse grammaticale, de la déclinaison ou de la conjugaison de tous les mots rencontrés.

c- L’enseignement supérieur ou rhétorique : le rhéteur enseignait aux étudiants l’art oratoire, si important pour les discours en public des avocats ou fonctionnaires (ces derniers devaient même apprendre une forme de sténographie). Le maître impose des sujets sur des thèmes très variés, y compris embarrassants. Les universités dont l’existence est assurée se trouvaient à Marseille, Autun, Bordeaux, Toulouse. 

d-Les vacances : Du 15 juillet au 15 octobre, les 17-23 décembre et 19-23 mars.

2-Les enseignants et leurs méthodes

a-Sont attestés, selon les auteurs anciens surtout et d’après quelques rares documents iconographiques :

-Angoulème : Ausone cite l’enseignant Tetradius
-Auch : un professeur de calligraphie (« doctor ») est à signaler mais est-ce un enseignant ? ; Sinon, Ausone cite l’enseignant Staphylius
-Autun : Tacite évoque les « études libérales » des enfants de la noblesse gauloise, en 21, puis il y a le fameux Eumène au IVème s. (précepteur et rhéteur, directeur des Ecoles Méniennes, puis secrétaire de l’empereur Constance Chlore pendant 4 ans)

-Besançon : Ausone évoque l’existence d’un école publique ; un rhéteur, Iulius Titianus, est également cité
-Béziers : 2 rhéteurs, Philon et son frère Artémidore
-Bordeaux : Ausone, lui-même grammairien, rhéteur puis précepteur du futur empereur Gratien, évoque des enseignants de Bordeaux, dans une sorte d’université (il en cite 24 dont le brillant T. Victor Minervius !) ; Le petit-fils d’ Ausone, Paulin de Pella évoque ses études à Bordeaux avec un maître de grec (Homère et Socrate sont au programme) et un maître de latin (L’Eucharisticos, 117)
-Clermont : 2 enseignants, selon Sidoine Apollinaire, le grammairien Domitius -qui enseigne en baillant !- et le rhéteur Hesperius
-Limoges : un grammairien Biturige installé à Limoges (Blaesianus)
-Lyon : Ausone parle aussi d’une école municipale -Marseille :  4 enseignants et 2 pédagogues ; la ville est réputée pour ses sophistes et philosophes grecs ; Sénèque évoque le rhéteur Volcacius Moschus, exilé dans cette ville sous Auguste et Tibère ; Agricola y fit ses études ; Athénades se dit grammairien latin mais son inscription est en grec ; T. Flavius Neikostratus est précepteur
-Moulins : une petite sculpture montre un maître caricaturé en singe à Moulins (possible témoignage, déjà,  d’un certain manque de respect vis à vis de certains enseignants ?)
-Narbonne : l’écrivain Martial cite Votienus, un « doctus » de la ville ; une scène hypothétique d’école est très incertaine  (3 maîtres pour 15 élèves !, le document est considéré comme douteux par N. Moine, tout comme des scènes « scolaires » d’Arlon en Belgique et de Neumagen en Allemagne)
-Nîmes : 2 pédagogues (Porcia Leda et Optatus)
-Périgueux : un rhéteur, Paulin, qui deviendra évêque vers 460/475
-Poitiers : Ausone cite le rhéteur Rufus et le grammairien Anastase, de valeur très variable
-Soissons : au musée peut se voir un groupe sculpté appelé « Niobide et son pédagogue » (mais c’est très discutable)
-Strasbourg : un bas-relief montre un enseignant et son élève (ou un homme assis et son serviteur…)
-Toulouse : Ausone cite trois enseignants ; une inscription fragmentaire évoque peut-être un scribe à Toulouse (CAG 31/3, p335) ; une statue d’un maître d’école à Fendeille près de Toulouse
-Vienne : un grammairien connu
Autun Musée Rollin Mosaïc.jpg
Métrodore sur la mosaïque des Poètes grecs d’Autun
 La mosaïque des Poètes grecs d’Autun ne montre évidemment pas des enseignants (décédés depuis longtemps !) mais les références intellectuelles du propriétaire de la domus (qui a peut-être fréquenté l’université de la ville, ou tout au moins, appris les maximes et sentences reproduites sur la mosaïque ?) : 
-Anacréon : « Apporte de l’eau, du vin, garçon, apporte-nous des couronnes de fleurs, allons apporte pour que je ne lutte pas contre Eros ; Celui qui veut combattre car cela se présente, qu’il combatte. Mais moi, donne-moi à boire, à la santé de mes amis, du vin miellé, garçon. »
-Métrodore : « Nous sommes nés une fois pour toutes, une deuxième naissance est impossible. Et toi qui n’es pas maître du lendemain, tu ajournes ce qui apporte la joie ; mais la vie, dans le délai, se perd, et chacun de nous, dans son manque de disponibilité meurt. « 
-Epicure : « Il n’est pas possible de vivre avec plaisir sans vivre avec prudence, honnêteté et justice, ni de vivre avec prudence, honnêteté et justice sans vivre avec plaisir. »

D’après des témoignages littéraires (Juvénal) et des graffitis de Pompéi, les enseignants étaient payés (de façon aléatoire) par les élèves et leurs parents, 2 deniers par élève et par jour au IVème s.

b-Le matériel pédagogique ? L’iconographie et les fouilles font connaitre des tablettes, des « volumina » ou rouleaux de papyrus, des stylets en fer ou des calames (roseaux taillés). Voir, pour plus de détails, le II, ci-dessous.

c-Le matériel moins pédagogique ! La plupart des maîtres étaient connus pour leur sévérité, voire même leur brutalité, et n’hésitaient pas à user avec violence de la férule (baguette de bois souple), du fouet et du martinet envers les élèves récalcitrants. Bien que ces méthodes soient tout à fait acceptées par les parents, certains auteurs comme Ausone les contestent et suggèrent plutôt « quelques encouragements flatteurs…un léger sentiment de crainte, beaucoup de douceur dans les réprimandes… »

File:Stèle funéraire de Lucillus.JPGFile:Santon 03344.JPG
Un écolier (Lucillus) à Reims ; Espérandieu 3736Un écolier à Saintes
 Quelques rares élèves sont aussi indiqués,  sur des inscriptions : un enfant adopté « instruit dans les arts libéraux » à Vienne, un « jeune homme versé dans l’étude du droit » (Q. Valerius Virilius) à Nîmes,  un « élève méritant » (M. Porcius Victor), à Narbonne. Un élève (L. Exomnius Macrinus) est décédé à 16 ans, au cours de ces études, sans doute chez un rhéteur, dans le Valais (tombe découverte à Aime-en-Tarentaise). Trois autres enfants ont connus un destin équivalent, à St Priest (Iulius Victorus, à 10 ans), Givors (Bocchius Aelius, à 8 ans), et Saint-Romain-en-Gal (une « écolière » décédée à 7 ans). Voir plus bas, sur les stèles funéraires à reliefs.

3-Les résultats ? 

a-Tous les Gallo-Romains pouvaient-ils lire les documents et textes officiels, les épitaphes des cimetières, les bornes des routes, les enseignes des aubergistes, les tablettes magiques, les graffitis des murs et des céramiques, les étiquettes des amphores… ? 

L’écriture est donc d’un usage courant. L’étude des comptes de potiers de La Graufesenque a révélé une bonne maîtrise de l’écriture (cursive latine) mais des difficultés grammaticales et orthographiques… Sur une stèle de Corre, celle d’Amandinus, le lapicide a fait une faute d’écriture (« monimentum » au lieu de « monumentum »).  A comparer avec le très bon latin des soldats de Vindonissa (Suisse) et de Vindolanda (Bretagne) ! De plus, il existait des librairies (à Vienne et Lyon selon Martial et Pline le Jeune, à Lyon, Autun, Auch selon des inscriptions), des bibliothèques (peut-être le « temple de Diane » à Nîmes ?).

Les programmes scolaires présentaient quelques lacunes : les matières scientifiques (enseignées par des spécialistes), les matières artistiques (la musique était enseignée aux jeunes filles des grandes familles) et le sport.

b-Que devient la langue gauloise ? Elle est toujours utilisée au Ier s. (par les potiers de La Graufesenque qui déforment aussi des mots latins), au IIè s. (un évêque de Lyon s’en plaint), au IVè s. (selon Ausone et St Jérôme)…

Témoignages : Une dizaine d’ alphabets  (d’enfants ou d’adultes ?) retrouvés dont  Allonnes, Beaune-la-Rollande (8 premières lettres), Bourges (9 lettres), Chartres (4 exemplaires), Chateaubleau (deux exemplaires), Lavoye (complet, 23 lettres), Millau, Narbonne, Néris-les-bains, Périgueux, Rennes, Saint-Médard, Suèvres, Toury (4 lettres). Un curieux graffiti d’Autun mélange du latin (nata, da) et du gaulois (vimpi, curmi) pour faire « nata vimpi curmi da » = « fille, donne-moi de la bonne bière »). Dans la villa de Cuperly (Marne), les archéologues ont découverts sept ébauches de règles.

 File:Tablette de cire-1.jpg File:Périgueux Vesunna Museum - Vava.jpg
 Reproduction d’une tablette de cire Graffiti d’enfant, sur un enduit peint d’une domus de Périgueux (Musée Vesunna)

II) COMMENT ECRIRE ?

a -On écrit sur des tablettes de bois recouvertes de cire : ce sont des planchettes rectangulaires d’environ 30 x 15 cm. Un diptyque a deux tablettes et un polyptyque ou un codex, plus de deux (dix sont visibles sur une stèle de Bourges). On les tient par une poignée. Le « tabellarius » est peut-être le fabricant de tablettes de cire. On écrit avec la pointe d’un stylet (ou style). Les stylets sont en os ou en bronze. L’autre extrémité du stylet, en forme de spatule, permet d’effacer les erreurs. Les stylets sont transportés dans des étuis (les restes d’un étui ont été retrouvés à Pignan dans l’Hérault). 

Tablettes de bois conservées : Alba (2), Ambrussum, Amiens, Arles (17 tablettes découvertes dans le Rhône), Barzan, Bavay, Bordeaux, Chalon/s/Saône, Izernore (tablettes découvertes récemment dans des puits), Longueil-Sainte-Marie dans l’Oise, Lyon, Malemort-en-Corrèze (4), Marseille, Nîmes (2 tablettes appartenant à un codex de 2 et 3 volets, découvertes récemment dans un puits, place d’Assas), Pézenas (plusieurs découvertes dans un puits à l’Auribelle),  Rézé (8 découvertes dans un puits), Saintes (4), St Doulchard, Troyes (26 découvertes en 2007), Toulouse (support en bois d’une tablette), Vaison, Vannes (2)… 7 tablettes en ivoire ont été découvertes dans une tombe à Nîmes

Stylets conservés (site artefacts) : classiques (752 occurrences dont beaucoup en Gaule, à Alésia, Amiens, Antigny, Aubigné-Racan, Besançon, Bliesbruck -76 découverts-, Bordeaux, Poitiers, Rezé, Steinbourg, Tours… et surtout à Chartres où 388 exemplaires ont été retrouvés, en cours de fabrication, dans une cave de la place des Epars), à corps renflé (30 à Lyon, quelques uns à Amiens, Autun, Corent, Poitiers, Valence…), inscrits (à Biesheim et Rouffach en Alsace)… ; Des spatules à cire ont été retrouvées à Antigny, Arles, Biesheim, Compiègne, Orange.

b –Lorsqu’ils sont plus expérimentés, les élèves écrivent sur du papyrus (= le « volumen » constitué de plusieurs feuilles de papyrus collées bout à bout et enroulées autour d’une tige de bois -« umbilicus »-, uniquement connu par l’iconographie)  avec un calame, en roseau taillé en pointe, en bronze ou en ivoire et trempé dans une encre à base de suie et d’acides.  


De rares tubes de volumen : dans le Rhône à Arles (découvert en 2018), à Alba (dans une tombe).Plusieurs calames ont été retrouvés à Arles, Bavay, Nîmes, Reims. Des couteaux à affûter les calames ont été découverts sur une trentaine de sites (Alba, Aulnay, Besançon, Biesheim, Chalon, Jonzac, Lyon, Orange, Rennes, Rom, Toulouse, Tours…). Le canif de Folking (Moselle) a sans doute servi à affûter des calames. De nombreux encriers ont été découverts : ils peuvent être en céramique (Amiens, Antigny, Aspiran, Besançon, La Graufesenque -lieu de fabrication-, Saintes, Strasbourg, Vienne…), en bronze (Lyon, St Raphaël, St Romain-en-Gal, Vaison -avec un décor-), en os (Vaison), en verre (Arles, Autun, Caudebec, Paris, Poitiers, Roanne)… A Rennes, ce sont des couvercles d’encriers qui ont été retrouvés.


c -Les parchemins sont constitués de fines feuilles pliées et reliées (= également appelé un codex), sur lesquelles on écrit à l’encre.

d -Autres supports : on écrit également sur des supports en plomb (contrats, étiquettes commerciales ou artisanales, tablettes de malédiction, vœux…) et éventuellement sur des supports plus surprenants, des tessons de céramiques, des tuiles, des amphores, des enduits peints…

Les boites à sceau sont nombreuses en Gaule (Aoste, Aspiran, Biesheim, 12 à Bliesbruck, Chateaubleau, Fréjus, La Graufesenque, Lyon -décorée d’un Mercure-, Mauves, Nîmes, Roanne, St Dizier, Wittelsheim… Liste complète sur le site artefacts). Une boite à sceau ressemble à une capsule. Une partie de la cire que l’on mettait dedans s’écoulait par les trous pour adhérer et sceller un document (tablette, parchemin…).

Témoignages des stèles funéraires (E = recueil d’Espérandieu) : Environ 50 stèles montrent des « écoliers » ou des adultes qui  tiennent une tablette et un étui à stylets (Saintes, Autun, St Ambroix E 6997, Baugy E 1518), une tablette et 2 étuis -à tablettes et à stylets- (St Ambroix E 2740), 2 étuis à tablettes et  à stylets (un écolier de Bourges), un étui à tablette (Niederhergheim), un encrier et des calames (Strasbourg E 5507, Bourges E 8952),  des tablettes (Saintes NE 144, Bourges, St Ambroix E 6993, E 7006, Autun E 1895, Sens E 2806, Le Hieraple E 4445, Metz E 4412, Saulieu…), un volumen (Bourges E 1444, Saintes E 1350 et ILA 61 -volumen ou étui à calames-, Reims), un codex de tablettes (St Ambroix E 6992, Bourges E 1443, Bruère-Allichamps, plusieurs à Luxeuil et Corre) ou de parchemins (Bourges E 8952), un volumen et un codex (Bourges E 1456), un cartable (Reims mais non assuré E 3736, Reims encore, rue Belin). A Bourges, une stèle représente sans doute un scribe  (E 1443) et une autre stèle représente le matériel d’écriture du scribe Cesor (2 tablettes doubles et des stylets, E 1450). A Metz (E 4378), une tablette est ouverte sur la stèle de Saturninus.

SOURCES :-R. Bedon (Lire et écrire chez les Bituriges Cubes sous le Haut-Empire, d’après plusieurs représentations portées par des stèles funéraires, in Iconographie du quotidien dans l’art provincial romain, 44ème suppl. RAE, 2017, p 79-94 ; il recense 14 stèles de Bourges, St Ambroix et Bruère-Allichamps)-D. Bozic et M. Feugère (Les instruments de l’écriture, in Gallia, 2004, p 21-41)-G. Coulon (L’enfant en Gaule romaine, Errance, 2004 ; Les Gallo-Romains, Errance, 2006)-P.-M. Duval (La Gaule pendant la paix romaine, Hachette, collection La vie quotidienne, édition 1997 ; avec de nombreuses références à Espérandieu)-P. Janeux et K. Marchadour (fiche « éducation et écriture à l’époque gallo-romaine » sur le site musee-vix.fr)-R. Marichal (Les graffites de la Graufesenque, 47ème sup. Gallia, 1988)-M. Monteil et L. Tranoy (La France gallo-romaine, La Découverte, 2008)-C. Wolff (L’éducation dans le monde romain, Picard, 2015)-Le site artefacts.mom.fr

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